Guitares de légende

Jouer sur une véritable Stratocaster de 1954… un must ?

Pour Guitar Connection 3, Jean-Pierre Danel a enregistré l’intégralité de ses guitares avec Miss Daisy, sa Strat de 1954… Millésime mythique, instrument rare, gros, gros budget, et plaisir de l’authentique, Danel raconte à Damien Boileau le quotidien d’un guitariste aux anges…



- Est-ce que cette guitare est réellement aussi incroyable que ce l’on peut lire dans la presse spé ?
- Je crois bien, oui ! C'est-à-dire que les Strats des années 50 sont souvent étonnantes. J’ai un modèle de 1956, La Marquise, qui a des aigus ahurissants, mais Miss Daisy les a aussi et y ajoute des graves et des mediums qui laissent sur le carreau…
- Tu n’aimes que les grattes vintage ?
- Non, ça n’est pas un snobisme du tout. Je suis preneur de n’importe quelle bonne Strat. D’ailleurs j’en ai beaucoup, et notamment des 70’s, 80’s et Signatures actuelles aussi. Les vieilles ont un côté patiné sur le corps que curieusement on retrouve parfois dans le son aussi. Je crois que ces aigus clinquants, brillants et propres à la fois, ces médiums étincelants et ces graves profonds mais dynamiques, sont difficiles à retrouver sur des instruments neufs, et qui le restent car les matériaux ont évolués et ne changent presque plus dans le temps. Les vernis notamment… Mais ces vieilles Strats ne sont pas que l’effet du temps, car elles sonnaient déjà hyper bien quand elles étaient neuves à l’époque…
- Tu as dis quelque part que Miss Daisy te rappelait Blackie, la Strat vintage de Clapton
- Oui, on sent qu’elles sont de la même parenté. C’est le même type de son. C’est une nuance un peu indéfinissable, mais ces guitares ont leur son propre parmi la famille des Fender, et si on aime ça, il est difficile de trouver mieux. J’adore la Strat Signature Clapton par exemple, ou la Eric Johnson. Ces guitares sont sûrement au moins aussi efficaces pour un son accompagné d’effets modernes, mais pour un son plus « roots », je ne connais pas d’équivalent à ces vieux instruments…
- Concrètement, quelle est la différence lorsque l’on joue sur Miss Daisy ?
- Elle est subtile bien sûr, parce qu’une Strat reste une Strat. Mais disons que lorsque l’on connaît un peu ce modèle, on est saisi par la nuance. Le côté patiné de l’objet, déjà, donne un confort et crée une sorte de proximité, d’inimité très agréable. Le manche est confortable et son usure par le temps en augmente la sensibilité, la réaction. Enfin le son est plus authentique, plein, rond et brillant en même temps. Il couvre tout ce qu’on attend d’une Strat… C’est très difficile de définir cette impression en en parlant. Disons que c’est un peu comme un tableau originale et sa parfaite copie : si excellente qu’elle soit, la copie n’a pas l’âme de l’oeuvre d’origine.
- Miss Daisy est plus à son aise dans le cadre d’un répertoire « classique » type rock-blues ?
- Sans doute oui. Surf Music aussi. Ca ne veut pas dire qu’on ne peut pas jouer autre chose, mais la différence sera peut-être moins éclatante. Quoi que… En tous cas, si vous aimez les sons du type de celui de Clapton dans « Money and Cigarette » ou « Just One Night », vous comprendrez ce que je veux dire par la notion d’authenticité.
- Avec quel ampli utilises-tu ce joyau ?
- Un Bassman généralement, un Vox aussi pour les sons clairs
- Et côté effets ?
- Des choses simples le plus souvent : un Blues Driver de chez Boss, parfois une Hot Box à lampe de chez Matchless. Une Cry Baby… Rien de très neuf, mais ça marche pas trop mal.
- Pourquoi ce goût du son Strat vintage pur et dur ?
- Au départ, sans doute à cause du son de Hank Marvin. Les Shadows m’ont donné envie de jouer de la guitare quand j’avais 10 ans. Aujourd’hui Hank et moi sommes amis et nous avons aussi enregistré un duo. Je suis comblé parce que c’était un rêve de môme mais aussi parce que c’est tout simplement un immense musicien et un mythe vivant. Mes autres gouts me portent vers Clapton, Gilmour, Knopfler… et curieusement, leur maître commun n’est autre que… Hank ! Tous ces gens utilisent la plupart du temps des Strats vintage eux aussi…
- Tu as écrit le livre « Légende de la Fender Stratocaster », tu ne joues que sur Strat, tout ça n’est pas restrictif ?
- Je ne le vis pas comme tel en tous cas. Ritchie Blackmore – un autre fan quasiment hystérique de Hank, comme Jimmy Page ou Pete Townshend - parlait de ça dans une interview que j’ai lue il y a peu. Il disait que lui aussi voulait sonner comme Hank, et qu’un jour Clapton lui avait donné une vieille Strat, et qu’il avait compris ce jour-là que cette guitare permettait de tirer une chose précise de chaque note, une intention, un expression personnelle. A son avis, tout le monde sonne pareil avec une Gibson, mais pas avec une Strat. Je comprends ce qu’il veut dire, même si c’est un poil radical. En tous cas, je me sens à la maison avec une Strat. Mais j’apprécie ce que certains, comme Angus Young, font avec des Gibson.
- Ta technique autodidacte est peu classique par certains aspects, et le résultat général est un riche mélange de relatif classicisme façon british dans le blues, d’influence Shadows dans le jeu du vibrato, d’une pointe country-jazz, et de plans typiquement « maison »…
- Euh…ah oui ? Je ne sais pas, je ne me suis jamais posé la question en fait… Je n’ai aucune évaluation personnelle de mon jeu.
- Vraiment ?
- Vraiment !
- Dans Sleepwalk sur Guitar Connection 1 par exemple, la combinaison vibrato, bends, hammers et pédale de volume est carrément bluffante…
- Ah oui ? Merci… En fait je crois plutôt que c’est une approche de jeu qui a été un négligée ou oubliée par beaucoup, alors entendre ça, ça surprend. C’est peut-être cet effet de surprise qui te bluffe…
- Dans ton dernier album, le côté bluesy ressort davantage, notamment avec divers hommages à Clapton…
- J’aime beaucoup Clapton. D’abord le gars a l’air sympathique et bien, et son jeu est plutôt classique tout en étant innovant. Il n’y est guère question d’exploits techniques à la façon des guitar-heroes des années 80 et 90, mais l’âme et le cerveau y sont, et c’est ça que j’apprécie chez lui. Les idées qui germent dans la tête du musicien m’impressionnent plus que la musculature de ses doigts… A part un deux détails, je n’ai pas cherché à repiquer les plans de Clapton, mais plutôt à m’inscrire dans la filiation, en toute modestie.
- C’est tout à fait réussi. Miss Daisy sonne aussi bien sur les reprises du répertoire de Lenny Kravitz…
- Mais Kravitz utilise des instruments vintage lui aussi… C’est devenu un luxe branché !
- Ne trouves tu pas exagérées les côtes de plus de 100 000 Euros atteintes par ces guitares ?
- Si, mais ça n’a plus aucun rapport avec les qualités musicales de l’instrument. C’est lié à la rareté et à la loi de l’offre et de la demande. A la spéculation aussi…
- Miss Daisy est un modèle de pré-production en plus ?
- Oui, une des soixante premières Strats construites à priori. A la fin de 1954, ils ont attaqué la série, mais n’ont fabrique que 200 guitares cette année là. C’est pourquoi elles sont si rares et donc prisées de nos jours, d’autant qu’il se trouve qu’outre leur ancienneté, elles font indéniablement partie des meilleurs exemplaires de Strats, si ce n’est les meilleurs tout court…
- La « Number One » de Gilmour n’est pas la première Strat construite ?
- Non. Hors quelques prototypes, la première vraie Strat date d’avril 54 et porte le numéro 0100. Celle de Gilmour est de mai-juin, Miss Daisy est de juin-juillet. La soixantaine de guitares construire jusqu’au 12 octobre sont des modèles de pré-production. Au-delà, ce sont les modèles de séries, avec quelques petites variantes mineures seulement d’ailleurs. Mais la Strat 0001 de Gilmour est un Custom Color, ce qui lui ajoute de l’intérêt – et puis, elle lui appartient désormais, ce qui est un autre plus non négligeable ! Mais il s’en sert très peu, de peur de l’abîmer ou qu’on la lui vole…
- Est-ce que tu dors avec ta guitare ?!
- J’ai eu du mal à m’endormir quand je l’ai eue en tous cas ! J’en ai rêvé pendant 24 ans, avant d’en dénicher une. Elle était dans un musée de la guitare à Tokyo. Trois ans et demi de négociation ! J’y fais très attention, et elle est à l’abri. Mais quand je joue, elle redevient ce qu’elle est tout simplement : un instrument qui ne demande qu’à s’exprimer.
- Pourquoi « Miss Daisy » ?
- Aucune idée ! Il n’y a même pas de rapport avec le film…Ca s’est juste imposé à moi. J’aimais bien l’idée d’appeler une guitare « Miss ». J’ai suivi mon instinct sans réfléchir. Mais j’aime bien ce petit nom… Ca lui donne une personnalité.
- Tu sais qui a joué dessus dans le passé ?
- Hélas non ! Je vais essayer de voir auprès de Fender si on peut trouver quelque chose… Depuis que je l’ai, Marvin a joué dessus par contre…
- C’est historique !
- Oui ! Laurent Voulzy a joué dessus aussi. Et quelques potes. J’aimerais voir Clapton avec... Je serais comblé. Je suis absolument certain qu’il l’adorerait. C’est ce qu’on m’a dit chez Fender aussi. C’est typiquement ce son qui le fascinait chez sa Blackie, qui était un mélange des trois meilleures Strats qu’il avait trouvées, et dont les pièces dataient de 56. Ils ont retrouvé ce son là chez Miss Daisy, comme moi. Le Fender Mag a consacré plusieurs pages du mag à Miss Daisy, et le luthier officiel m’a expliqué que c’était la meilleure Strat qu’il ait jamais entendue (et Dieu sait s’il en a entendu !), et sa guitare préférée avec une Gibson Les Paul de 59.
- Tu es conscient de ton privilège alors ?
- Oui, absolument. J’ai un peu l’impression d’avoir la Joconde à la maison ! Je reçois des emails de gens qui me demandent des nouvelles de Miss Daisy ! C’est fou le nombre d’articles et de réactions qu’il y a eut à son sujet. C’est pour ça qu’on l’a mise en couverture de mon livre sur la Strat : elle intéresse les fans de Fender.
- Tu délaisses tes autres Strats du coup ?
- Un peu je dois l’avouer… Je suis l’homme d’une seule guitare ! Et pour un puriste, on ne peut pas trouver mieux…. C’est le Graal !
- Tout est d’origine sur Miss Daisy ?
- A quelques détails près, oui : la tige du vibrato et les ressorts ont été changés, mais j’ai conservé les originaux…
- Tu lui consacres un chapitre dans le dvd de ton nouvel album ?
- Oui. D’abord, soyons francs, ça fait la promo de mon livre, mais aussi, je crois que ça fera plaisir à un certain nombre de fans de la Strat, et ils sont nombreux. Comme je le disais, je reçois du courrier pour Miss Daisy. Personnellement, je n’avais jamais vu de Strat 54 en vrai avant elle. Hank non plus. Très peu de gens en ont vu. Encore moins en possèdent… Même les photos sont rares… Il n’y a pas de vidéo. Alors en voir une en gros plan pendant quelques minutes, j’aurais adoré ça jusqu’il y a peu, moi ! D’ailleurs encore maintenant, je suis preneur de tout autre renseignement ou image de Strat 54 ou même simplement vintage. Quand on aime ça, ça ne peut que faire plaisir de voir ces bijoux…




Légende de la Fender Stratocaster – Courcelles Publishing – 49 Euros
Guitar Connection 3 – Warner Music – 20 Euros