1985



Sur les tournages de Macadam, Jean-Pierre s’attèle à la composition de quelques morceaux instrumentaux, parallèlement au lycée. Mais à défaut de matériel d’enregistrement sur place, ceux-ci ne verront pas le jour sur bande avant l’année suivante.
En février et à l’été, les rencontres et les bœufs avec divers artistes et musiciens sur Macadam sont nombreux.
« Pendant l’été, nous étions sur le tournage, avec Adamo, un chanteur d’opéra, et un ou deux copains et mon père. On a fait des bœufs étonnants…Le mélange guitares électriques et ténor était spécial, mais les soirées étaient très sympas ! Il a eu aussi un Macadam un peu particulier, dans le style polar, avec Daniel Auteuil, qui partait la semaine suivante tourner Jean de Florette. Ma sœur Nathalie jouait aussi dans cette émission.».
Cette année-là, dans un domaine différent, paraît aussi chez Michel Lafon le livre Le Rose et le Noir, une fiction sur François Mitterrand, censée se passer en partie dans la maison familiale des Danel, et dans lequel on évoque au long des pages d’hypothétiques réunions secrètes qui s’y tiendraient avec le président et ses conseillers. On y parle aussi du chien de la maison, né de la relation de Nil, le labrador du président, et de la chienne des Danel (ce qui est vrai cette fois). On évoque encore la passion de Jean-Pierre pour les Shadows, celui-ci l’expliquant longuement à François Mitterrand entre deux réunions, le président lui demandant tout de même « d’écouter « Apache » un peu moins fort ! ». On retrouve aussi Jean-Pierre expliquant au président le fonctionnement de Pac-Man, etc.
Tout ceci étant d’ordre privé et, dans un contexte absolument fictif, la famille Danel n’appréciera guère la sotie du livre.
« Ca m’a posé quelques problèmes supplémentaires à l’école. De nombreux journaux avaient évoqué nos vacances régulières chez François Mitterrand dans les Landes depuis le milieu des années 70, et le travail de ma mère aux côtés de Jacques Attali à l’Elysée à partir de 1981, sans parler de nombreux moments passés ensemble à l’Elysée, chez nous ou rue de Bièvre, chez les Mitterrand. Nous étions aussi à Latche chaque été pour parfois plus d’un mois depuis 76, ainsi qu’à d’autres moments de l’année.
J’ai quelques souvenirs rigolos à ce sujet en photo ou en vidéo. Mais dans le livre, seul le coup du chien était vrai, et même si j’emmenais toujours ma guitare et mon ampli, et que je jouais entre autres choses des titres des Shadows à Latche (où François gardait à ma grande surprise un 45 T des Shadows interprétant « FBI », qui avait dû appartenir à son fils Gilbert je crois). Ce qui est relaté dans le bouquin est bidon, et il n‘y a bien sûr jamais eu la moindre réunion secrète avec le président et ses conseillers, hors des déjeuners ou dîners purement amicaux à la maison. Mais j’ai quelques souvenirs pittoresques, notamment à Latche, avec des soirées passées à raconter des histoires drôles avec mon père et Roger Hanin (François riait tellement à table, qu’il mettait sa serviette sur son visage, car il était complexé par ses dents), ou un matin où je reçus mon petit déjeuner au lit des mains du président débarquant en peignoir dans ma chambre pour me réveiller, ou bien encore des moments passés à donner des carottes à Marron et Noisette, ses ânes... Il y a eu pas mal de choses plutôt drôles pendant toutes ces années…
La première fois que nous sommes allés à Latche, ma mère a commencé par renverser une bouteille de vin rouge sur le costume beige de François…Ca partait bien ! Il n’était pas président alors, et venait même de perdre les élections de 74, et on ne peut pas dire qu’on se bousculait à sa porte… Plus tard, Danielle nous a dit qu’elle a réalisé qu’il avait été élu quand, quittant Château-Chinon, dont il était député, le 10 mai 81 après l’annonce des résultats, la voiture est passée au péage sans payer…!
Il y a eu une histoire dont je me rappelle, un petit peu avant les élections présidentielles de 1981. François était convoqué au tribunal pour être entendu dans le cadre du procès des radios libres, qui étaient illégales alors. Il a téléphoné à Latche de l’aéroport de Bordeaux où mon père l’avait emmené, et il nous a dit « Pascal vous racontera à son retour, nous avons failli ne jamais arriver… ». En fait, en passant sur un passage à niveau, la barrière a commencé à se baisser… Mon père a accéléré un grand coup, et la voiture est passée, mais de justesse. Ca aurait pu être dramatique, et pour le coup, mon père nous a dit (non sans fierté !) qu’il avait joué un rôle dans l’Histoire de France !
Après les élections, bien sûr, certaines choses ont changé au quotidien, notamment la présence de la gendarmerie et de l’armée aux abords immédiats de la maison, où les arrivées en hélicoptère. Mais la vie sur place demeurait inchangée, et vraiment simple et naturelle. Je me rappelle de Danielle me faisant des spaghettis à 2 heures du matin après un Monopoly…
On discutait souvent à cette époque de Dallas. Le président suivait la série, et se demandait qui avait bien pu tirer sur JR ! Ca fait drôle dit comme ça, mais c’est pourtant véridique ! Il imaginait même ce que donnerait un couple réunissant JR et le personnage de Joan Collins dans Dynastie !
Je me rappelle avoir été au cinéma avec mes parents et Danielle, voir Les Aventuriers de l’Arche Perdue, et elle et ma mère se cachaient presque sous les sièges parce qu’elles avaient peur des serpents !
Il y a eu aussi de nombreux déjeuners dans un bistrot, situé à quelques kilomètres de Latche, dans un tout petit village du nom de Azur. On y allait à vélo avec Danielle, et on mangeait des omelettes aux champignons. Une année, en 83 ou 84, François nous avait emmené mon père et moi, avec ses deux chiens, Nil et Julie, dans sa Renault Rodéo (l’équivalent de la Méhari Citroën). Ma mère et Danielle nous avaient précédés à vélo. La voiture sentait le brûlé depuis un moment, et, en arrivant devant le restaurant, le moteur a pris feu. Le grand souci de François était d’arriver à faire descendre Nil qui ne voulait pas bouger…Bizarrement, les types de la sécurité ont été tétanisés un petit moment (ils ont dû se faire engueuler à mon avis, parce que d’autres les ont remplacés ensuite !), et c’est un client de la terrasse qui a sorti un extincteur de sa voiture…Après cette petite frayeur, nous avons déjeuné, en racontant des tas d’histoires drôles. Il y avait dans la salle deux électriciens de l’EDF. Ils écoutaient les histoires, et on les sentait épatés de déjeuner pas loin du président. François les a invités à nous rejoindre à table pour le café, puis ils ont dû partir, en nous expliquant qu’on ne les croirait jamais à leur travail ! C’était très sympa, et on ne réalisait pas toujours bien en compagnie de qui on se trouvait en fait…
François adorait les chiens. Il avait à latche dans les années 70 un basset Artésien du nom de Titus, qui s’était attribué un des canapés du salon. Il y eût surtout Nil, que François adorait véritablement. Quand notre chienne Nora a eu des petits avec Nil, François trouvait qu’ils avaient une « drôle de dégaine », car notre chienne était un berger allemand, et le mélange avec un labrador était curieux. Ma mère me racontait qu’à l’Elysée, Nil avait fait pipi sur les Gardes Républicains pendant qu’ils jouaient La Marseillaise dans la cour pour accueillir un président étranger, et aussi qu’il était monté dans la voiture d’un président africain, et refusait d’en descendre. François a dû venir le chercher lui-même…A la fin de sa vie, Nil devint un peu agressif, et, après avoir tué une poule ou deux, il a accidentellement tué le petit chien d’un fermier. La sécurité est arrivée, et François était effondré. Il nous a dit « Vous croyez qu’on va me l’enlever ? », et à cet instant, on aurait dit un petit enfant bouleversé par la perte de son meilleur ami. Nil finit effectivement sa vie aux chasses présidentielles de Rambouillet. Je n’ai plus vu François s’intéresser vraiment à un chien après ça.
Une fois, en février 82, nous sommes partis de la rue de Bièvre – son domicile parisien – pour aller à Latche. Cortège présidentiel avec motards, le tout à 180 km/h dans Paris, sur un itinéraire protégé, brûlant les feux…Effrayant ! Puis, à l’aérodrome de Villacoublay, le Mystère 50 présidentiel, et, à Mont de Marsan, l’hélicoptère Puma de l’armée, jusque dans un champ près de la maison…François m’avait confié pour le voyage un chapeau destiné à sa collection. Un superbe modèle de cow-boy, blanc immaculé, que Reagan lui avait offert, m’expliqua-t-il. J’étais chargé d’y faire attention, à cause de Nil qui courait partout et voulait jouer avec tout le monde…Pendant le voyage dans le Mystère, j’ai visité la cabine. A un moment, on a aperçu, assez loin quand même, un Boeing UTA. Le commandant a passé un appel, et, deux minutes plus tard, deux Mirages de l’armée accompagnaient gentiment le Boeing un peu plus loin…
L’année de mes 18 ans, j’ai passé mon bac. François m’a demandé ce que j’allais faire, et je lui ai expliqué qu’en dehors de la musique, j’étais inscrit en fac d’anglais. Il m’a alors conseillé de ne pas prendre trop de matières en option à l’université, afin de pouvoir garder du temps pour des sorties, le cinéma, la lecture, les amis, mes copines…C’était plutôt drôle ! Il m’a expliqué qu’il en avait fait le strict minimum lui-même lors de ses études supérieures, en prenant le nombre minimal autorisé d’options ! J’ai suivi ses conseils à la lettre !!
Dans les Landes, j’ai croisé parfois des gens comme Gaston Deferre, Laurent Fabius, Jack Lang, Max Gallo, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Charles Hernu, et un tas d’autres ministres. Je me souviens de Antoine Riboud également, le patron de BSN (le N°1 mondial de l’agro-alimentaire : Danone, Evian, etc.), Willie Brandt (le chancelier Allemand), ou bien encore les frères de François. Mais je ne peux pas dire que je les aie vraiment très bien connus, ils passaient juste à déjeuner ou au mieux, quelques jours, dans le cas du couple Lang. Roger Hanin était souvent là par contre, et le fils de Danielle et François, Gilbert, habitait à 500 m, et était souvent avec nous. Au siège du PS, rue de Solferino, j’avais croisé Lionel Jospin et de nombreux futurs ministres. Mais c’est très anecdotique. Ma mère, à l’Elysée, connaissait beaucoup de monde par contre. De tous les bords d’ailleurs, à partir de la cohabitation de 86. Elle y a rencontré et croisé un tas de gens différents : Jacques Chirac, Pierre Bérégovoy, et tous les ministres des différents gouvernements d’ailleurs, Mario Suarès, le président Reagan, son conseiller Henry Kissinger (qui l’appelait même à la maison le soir !), Mohamed al-Fayed, des artistes aussi, des écrivains, comme Elie Wiesel, des hommes d’affaire, etc. Elle était aussi la représentante déléguée par la Présidence de la République pendant l’organisation du sommet mondial des pays industrialisés à l’Arche de la Défense, pour le bicentenaire de la révolution, en 1989. Elle avait d’ailleurs aussi participé au précédent sommet du même type organisé à Versailles, en 84 je crois. Elle a vécu et a participé à des choses assez hors du commun. Mais il y avait une vraie nuance entre ses rapports professionnels et nos rapports privés avec le président.
Un soir à Latche, la petite fille de François, Pascale, qui avait alors 4 ou 5 ans, soupirait de voir – encore ! - son grand-père à la télévision. Je lui ai demandé :
- « Qu’est-ce qu’il fait papy ? ». Elle m’a répondu :
- « Papy, il est chef. »
- « De quoi ? »
- « De tout ! ».
Jolie synthèse !
Je me rappelle aussi du soir de la réélection de François en 1988, où mes parents et moi furent parmi les tous premiers à le voir après l’annonce des résultats. Je le félicitais, et il m’a tout de suite demandé : « Alors, la guitare, ça marche ? »…Ca m’a fait rire, parce que, franchement, il avait quand même autre chose à penser à ce moment là ! Il y avait là Michel Berger, Jacques Attali et Catherine Lara aussi.
J’ai gardé quelques bricoles en souvenir, comme un carton d’invitation à une garden party de l’Elysée, un petit mot de lui pour les vœux de la nouvelle année, ou encore une invitation pour le fameux débat télévisé avec Valery Giscard d’Estaing en 81… Nous voyons toujours Danielle régulièrement, ma mère surtout. ».



François Mitterrand, Jean-Pierre et sa mère, avec Silex (offert au président par la reine d’Angleterre...)
Latche – février 1982

Invitations à la soirée de réélection de François Mitterrand (Mai 1988) et à la garden party du 14 Juillet 1991 à l’Elysée

Quelques photos prises par Jean-Pierre …


Latche – 21 Août 1983 : décoration du préfet Pierre Wishn
Sur la photo, outre François Mitterrand, Roger Hanin, Jean-Jacques Servan Schreiber, Gilbert Mitterrand, et
Margit.


Départ en hélicoptère (le président est de dos, suivi de Margit).


François Mitterrand, le chancelier allemand Willy Brandt, Margit (buvant son café), et au fond Pascal et Gilbert Mitterrand.

Au lycée, Jean-Pierre est contacté par quelques copains qui veulent monter un groupe et qui savent qu’il travaille déjà dans le monde de la musique parallèlement à l’école. Une répétition est fixée dans le but de préparer un répertoire, mais le rendez-vous est un lapin, et Jean-Pierre se retrouve à attendre pour rien…Un autre guitariste attend sur le pas de la porte, lui aussi, et va devenir son ami le plus proche. Laurent Poinet ne choisira pas de poursuivre une carrière professionnelle, mais, également amateur éclairé de photographie, il a souvent participé par la suite aux pochettes des disques de Jean-Pierre.
« C’est mon meilleur ami. On se voit tout le temps, et on partage un sens de l’humour assez lamentable ! Plus c’est nul, plus on est contents de nous ! Ce qui ne nous empêche pas d’avoir des conversations très sérieuses et philosophiques parfois, ou sur la foi, la religion… On a déjà passé des heures avec ça. On parle aussi de la façon dont les gens voient certaines choses ou notions de façon différente, selon leur langue naturelle, ou bien encore de psychologie…Et puis, on repasse aux jeux de mots foireux !! ».
Jean-Pierre contacte ensuite un copain de classe rencontré en 1981 dont il a appris qu’il joue des claviers dans des bals locaux. Avant les vacances de Noël 85 ils enregistrent un après midi deux maquettes, « Equinoxe » dans la version guitare des Shadows, et le thème (pour rire !) du film La Soupe aux Choux.
A partir de janvier 1986, Christophe Levacher va faire ses débuts progressifs avec Jean-Pierre, qui, lui, est déjà expérimenté sur scène comme en studio.
« Christophe n’était pas encore un musicien d’un niveau vraiment professionnel, mais il travaillait dur et avec rigueur. Il a vite appris à faire un travail précis. Il fallait le bousculer pour qu’il soit créatif, mais j’avais un tas de morceaux en cours que je n’arrivais pas à finir tout seul à la guitare, alors je lui jouais ce que j’avais, et il proposait des harmonies typiques du piano, auxquelles je n’avais pas pensé jusque là, et je construisais une mélodie et un texte dessus… C’était notre façon de composer à deux.
On a maquetté des dizaines de titres comme ça, puis on a fini par en boucler certains en studio. J’ai continué à faire appel à lui par la suite, pour mes productions. On faisait un vrai tandem à l’époque.».